C’est en consultant mon relevé de compte société générale qu’un souvenir douloureux rejailli tout à coup.
Les cris sur le pré et les craquements d’os revenaient à mes oreilles, l’appel au secours des camarades, à terre dans le no man’s land.
J’étais comme revenu à une journée noire que je voulais occulter pour de bon. Et pourtant l’empreinte est bien plus que vivace, ce que j’ai tenté de bannir de ma mémoire demandait à être narré.
Le 23 Avril 2016 marque certainement l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du XV de la Crampe.
Un affront, une honte, un viol, une erreur tactique qui a mené à une immense déroute.
Bien des mois se sont écoulés avant que je ne puisse mettre de mots sur les 80 minutes qui parurent des siècles de tortures dans les tréfonds du royaume d’Hadès et de Christian Jeanpierre.
La Bérézina en direct live sur Tf1, non vous n’êtes pas en train de lire une chronique du France / Nouvelle-Zélande de 2015, mais une du match qui opposa le XV de la Crampe à la Société Générale.
14h approche sur un des terrains du parc de Sceaux. Nos hommes, bien que conscient d’affronter en match amical une équipe de D2, sont bien loin d’imaginer l’horreur qui les guette.Les préparatifs habituels, la brume se lève à peine sur le terrain, inquiétant.
C’est dès le coup d’envoi que le doute se fit ressentir dans nos rangs.
Les banquiers engageaient sur nous, et se préparaient déjà pour coordonner la riposte, tandis que nous, restions prostrés face à la dizaine de colosses de marbres face à nous, les véritables créatures de Frankenstein d’une chanson de Jeanne Mas,
« En rouge et noir. »
Dès lors, les quelques courageux hommes qui avaient voulu relever le défi comprirent quel sorte de piège s’était refermé sur eux.
L’équipe montait vers nous tels des bœufs enragés, et nous nous tenions droit, en ligne, sans nous regarder, fier comme des futurs fusillés.
Les corps éthérique, les ombres fantomatiques des sacrifiés de Ðiện Biên Phủ, de Verdun ou de Craonne apparurent dans nos dos, posèrent sur nos épaules des mains compatissantes.
Elles nous chuchotèrent à l’oreille d’une voix à faire trembler jusqu’au dernier des os du petit orteil :
« À très bientôt, frère. »
La suite est une succession de pénétrations forcées, même regarder 5 fois de suite Irréversible est plus supportable.
Ceux qui résistaient étaient piétinés par les sabots, ceux qui tentaient d’avancer se faisaient rompre les côtes.
Je vois encore la babine de Mika dégoulinante de sang.
Les chevilles tordues, ces jambes et ces bras séparés des corps, encore agités de soubresauts.
Et pourtant, malgré la peine endurée, le capitaine su après chaque essais encaissés trouver les mots pour nous permettre de retourner au combat, mieux encore, sur une action bien préparée, nous nous sommes même retrouvé non loin de la ligne d’essai.
Une fois.
Après cela, le match s’est transformé en quelque chose qui ressemblait à :
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Engagement sur l’adversaire – essai.
Et dans l’en but, attendant les transformations, un lourd silence remplaça peu à peu les discours endiablés.
Après la douche nous a été posé la question par les joueurs d’en face :
« Pourquoi vous avez voulu jouer contre nous ? »
Sur le moment je n’ai pas trouvé de réponse, mais aujourd’hui je sais.
Nous avions besoin de traverser le vide, de comprendre quel était notre niveau et ce que nous devions travailler, comprendre que nous devions rester fort et soudés même face à un ennemi redoutable.
Il y a bien des manières de remporter une victoire, que ce soit sur le plan personnel après une bonne défense, la réalisation d’une bonne combinaison, les victoires se construisent pas à pas,
Où simplement contre une équipe plus faible.
« Dura lex, sed lex »
La loi est dure, mais c’est la loi.
Prochain résumé contre une équipe de D6
F&H
Bastard