Les Contes de la Crampe – Episode final : L’Ultime Combat.

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Cher docteur,

Voilà l’année est passée, le championnat est terminé, je vais pouvoir tenir la promesse que je vous avez faite : celle d’arrêter ce sport de débile.

Vous aviez bien eu raison concernant ma cheville : je me suis pris des bons coups dedans à Epinay pour la demi-finale, ce qui n’a pas arrangé les choses, mais c’était une vraie bonne bagarre.

D’ailleurs j’aurais surement un collègue du club à vous confier pour un diagnostic, car je n’ai toujours pas compris comment on pouvait être à mi-temps architecte et punk-à-chien-sans-chien.

Celui que l’on nomme « Chasseur » a la vie intérieure trouble, cumule sens du jeu et passé sportif avec celle du plus ardent des Ultras de la Crampe.

Il était bien la dernière des personnes que je m’attendais à croiser quand je me suis pointé au stade avec trois quarts d’heure d’avance le matin du match contre le RC Epinay,

et pourtant il était bien là.

Certains membres du staff du club local m’ont confié l’avoir vu dormant au pied d’un arbre, je l’ai pour ma part retrouvé, deux packs de bières sous les bras, la mine des grandes heures du Macumba été ’86 et l’haleine d’un pot de sable remplie de clope des Intervilles de Dax 2009.

« Ça va enculé ? » en signe de bonjour, visiblement il n’était pas sur la feuille de match.

Quoique docteur, croyez-moi ou non, mais on en a fait jouer des biens pires : en ce moment nostalgique de la fin d’une année ne peut m’empêcher de me remémorer un certain Adeline in the Sky qui, sorti de la Concrète, a joué n°3 en première mi-temps et ailier en seconde.

Je sais docteur ce que vous allez me dire sur l’usage des produits stupéfiants, mais il n’empêche que parfois on ne peut nier que les résultats sont bluffant.

Mais revenons à cette demi-finale.

Là c’était la cour des grands, là il y avait un stade, des tribunes, des supporters avec des drapeaux RC EPINAY des cornes de brume tout… et nous avions nous UN supporter.

UN homme pour nous supporter tous,

UN homme pour nous réunir et nous mener à la victoire :

Notre chasseur trônait fièrement en haut des marches, faisant fi de l’infériorité numérique implacable, (nb : il s’était installé ici après s’être fait expulser car il traitait les joueurs de l’équipe adverse de petites pédales sur le bord du terrain.) rien n’entamait son enthousiasme : « Arbitre, voleur de poule ! Allez bandes de fiottes vous savez pas plaquer ! Faut qu’je vienne pour que vous avanciez ou quoi ? CHIENS D’TALUS ! » Etc, etc…

La question que l’on est en droit de se poser cher docteur est bien évidemment est-ce que l’issue du match aurait été la même s’il n’avait pas été là ? – Comme l’a si bien dit Descartes : « cogito ergo sum – je cogite donc j’ai le seum. » Donc arrêtons de penser.

Un match de chiens de talus, je ne vois pas de meilleur terme pour le définir, j’avais un essuie-glace pour le sang, mais bien mes yeux et mes poings pour participer à une belle générale digne d’un album d’Astérix, les bons prétextes en prime.

Pour la première fois, nous étions en demi-finale,

Pour la première fois, nous avons gagné une demi-finale,

Pour la première fois le chasseur a failli pisser sur un gamin qui jouait avec sa corne de brume en rétorquant « ta gueeeuulle toaaaa »

Pour la première fois nous allions préparer une FINALE.

Mon cher docteur, je ne sais pas si cela ne le faisait qu’à moi, mais mon corps se vidait ce matin-là de tout ce que je pouvais consommer : la moindre gorgée d’eau était pissée, la petite banane était chiée, et la bite euh non.

Une finale en fait c’est un peu comme une fête ou on n’a jamais été convié, comme si on vivait dans un épisode d’Harry Potter sans Quidditch (c’est pas viril Harry Potter bordel !) – Ou comme une vidéo de Jacky & Michel sans y voir ta mère. (voilà.)

On se serait cru à un oral de Bac, mais en équipe, avec des mecs qui révisent partout « Meeerde faut que j’apprenne à faire une passe vrillée j’ai fais l’impasse ! » – trop tard.

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Plus sérieux qu’à Twickenham.

On a vu TOUTES les équipes en finale de TOUTES les divisions, d’ailleurs au passage, il y a vraiment des clubs qui ont des maillots de chiotte, mais je ne suis pas là pour critiquer.

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(Pour connaître le nom du club qui a le plus beau maillot de baltringue de toute la FFSE, likez l’article !)

On était nombreux, soudés, fort comme jamais, ce qu’il y a de sûr et cette fois-ci sans déconnade, c’est que notre groupe en pleine mutation, sera différent pour la saison prochaine, finir par un événement comme celui-ci, il n’y avait pas mieux.

Le bureau avait voté en 2016 pour un maintient en D6 afin de constituer une team combattive, cette équipe a battu toutes les autres. Et c’est pas moi qui le dit, c’est les CHIFFRES.

Docteur, on a eu cette fois un bon laps de temps pour s’entrainer, on est pas arrivé au Bac sans nos fiches Bristols, nan nous étions organisés, sérieux, peut-être aussi grâce à la potion magique de notre druide Ventolinix, qui nous a permis de résister face au camp de Babaorum.

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Ça commence à transpirer du front.

 

Car en face on en a vu du beau légionnaire, du vétéran, du gras, du velu du puissant, et ça a fait mal.

Fébrile au milieu de cette arène, arrangés par une foule supporter délurés, nos femmes, nos familles, nos clébards, et tout un tas d’autres ingénieurs, la balle au départ ne trouvait pas son maître, elle circulait, tombait, partait en tout sens, et on a couru comme on ne devrait plus le faire à nos âges.

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Derniers mots avant le coup d’envoi, Louis bosse la déstabilisation de mêlée.

Pourtant, maintenant que l’ivresse de la victoire est quelque peu retombée, maintenant que les Champs-Elysées ne projettent plus nos visages sur l’Arc de Triomphe et que nos joueurs ne se prennent plus en photo partout avec leur médaille en chocolat, je n’ai en souvenirs que des bons moments de brute.

Je revois l’essai depuis une touche, un bon ballon porté de gros jusqu’à l’en but.

Je revois le pick n go jusqu’à l’essai, la course de Tibo qui mériterait bien quand-même qu’on lui fasse une petite gâterie, enfin un truc quoi, pas forcément sexuel, mais un truc quoi.

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Je nous revois à 12 contre 15 défendre et ne pas céder.

Je ressens encore cette volonté de ne rien lâcher, qui nous a fait garder la distance, malgré les blessures, malgré les cartons, jusqu’au coup de sifflet final, libérateur.

Je sais ce que vous m’avez dit docteur « Pour un niveau de rugby comme celui-là, à quoi ça sert de se détruire le corps ? »

Je sais que mon genou droit est dans un sale état, que ma cheville est raide, que j’ai des vertèbres et des cervicales qui tournent de l’œil.

Un si petit championnat, une infime récompense, une reconnaissance qui ne se reconnaît que pour nous, pourquoi continuer me direz-vous ?

Comme je vous l’avait dit docteur, ma décision est prise :

Pour un match comme cette finale je pourrais en rejouer des dizaines d’autres, dans la boue de Villeneuve, dans le fond d’un Sceaux, sous un caniar à Polygone, je suis prêt à revivre les passes à l’aveugle aux Invalides, les moments de doutes, les douleurs, les échecs à répétitions si nous restons ce que nous avons réussi à être dernièrement.

À notre manière, à notre niveau, et pour ceux qui nous ont vu, et aussi par les mots de Coach, nous jouons comme une équipe de rugby.

Et toute la nuance est là : une équipe de rugby n’est pas dans le niveau de chacun, elle est dans la cohésion des corps, et des têtes.

Alors docteur, si je vous écris, c’est pour renouveler mon ordonnance de Kétum, bandages, antidouleurs et vaseline (cette dernière, pour un usage professionnel uniquement)

Un très bon anniversaire à Juju, All Hail The President !

Un grand merci à tous ceux qui nous ont soutenu, qui se sont déplacé même s’ils ne jouaient pas ou ne pouvaient pas jouer.

Merci aux joueurs et à notre entraineur, nous avons vu je crois ce qu’il pouvait se produire, quand on consacre du temps au rugby.

Comme vous tous, j’attends l’année prochaine avec impatiente.

FORCE ET HONNEURS CHIENS D’TALUS !

Bastard.

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Hors Série Spécial – Le Massacre de Sceaux

 

C’est en consultant mon relevé de compte société générale qu’un souvenir douloureux rejailli tout à coup.

Les cris sur le pré et les craquements d’os revenaient à mes oreilles, l’appel au secours des camarades, à terre dans le no man’s land.

J’étais comme revenu à une journée noire que je voulais occulter pour de bon. Et pourtant l’empreinte est bien plus que vivace, ce que j’ai tenté de bannir de ma mémoire demandait à être narré.

 

Le 23 Avril 2016 marque certainement l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du XV de la Crampe.

Un affront, une honte, un viol, une erreur tactique qui a mené à une immense déroute.

Bien des mois se sont écoulés avant que je ne puisse mettre de mots sur les 80 minutes qui parurent des siècles de tortures dans les tréfonds du royaume d’Hadès et de Christian Jeanpierre.

La Bérézina en direct live sur Tf1, non vous n’êtes pas en train de lire une chronique du France / Nouvelle-Zélande de 2015, mais une du match qui opposa le XV de la Crampe à la Société Générale.

 

14h approche sur un des terrains du parc de Sceaux. Nos hommes, bien que conscient d’affronter en match amical une équipe de D2, sont bien loin d’imaginer l’horreur qui les guette.Les préparatifs habituels, la brume se lève à peine sur le terrain, inquiétant.

C’est dès le coup d’envoi que le doute se fit ressentir dans nos rangs.

Les banquiers engageaient sur nous, et se préparaient déjà pour coordonner la riposte, tandis que nous, restions prostrés face à la dizaine de colosses de marbres face à nous, les véritables créatures de Frankenstein d’une chanson de Jeanne Mas,

« En rouge et noir. »

Dès lors, les quelques courageux hommes qui avaient voulu relever le défi comprirent quel sorte de piège s’était refermé sur eux.

L’équipe montait vers nous tels des bœufs enragés, et nous nous tenions droit, en ligne, sans nous regarder, fier comme des futurs fusillés.

Les corps éthérique, les ombres fantomatiques des sacrifiés de Ðiện Biên Phủ, de Verdun ou de Craonne apparurent dans nos dos,  posèrent sur nos épaules des mains compatissantes.

Elles nous chuchotèrent à l’oreille d’une voix à faire trembler jusqu’au dernier des os du petit orteil :

« À très bientôt, frère. »

La suite est une succession de pénétrations forcées, même regarder 5 fois de suite Irréversible est plus supportable.

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Ceux qui résistaient étaient piétinés par les sabots, ceux qui tentaient d’avancer se faisaient rompre les côtes.

Je vois encore la babine de Mika dégoulinante de sang.

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Les chevilles tordues, ces jambes et ces bras séparés des corps, encore agités de soubresauts.

 

Et pourtant, malgré la peine endurée, le capitaine su après chaque essais encaissés trouver les mots pour nous permettre de retourner au combat, mieux encore, sur une action bien préparée, nous nous sommes même retrouvé non loin de la ligne d’essai.

Une fois.

Après cela, le match s’est transformé en quelque chose qui ressemblait à :

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Engagement sur l’adversaire – essai.

Et dans l’en but, attendant les transformations, un lourd silence remplaça peu à peu les discours endiablés.

 

Après la douche nous a été posé la question par les joueurs d’en face :

« Pourquoi vous avez voulu jouer contre nous ? »

Sur le moment je n’ai pas trouvé de réponse, mais aujourd’hui je sais.

Nous avions besoin de traverser le vide, de comprendre quel était notre niveau et ce que nous devions travailler, comprendre que nous devions rester fort et soudés même face à un ennemi redoutable.

Il y a bien des manières de remporter une victoire, que ce soit sur le plan personnel après une bonne défense, la réalisation d’une bonne combinaison, les victoires se construisent pas à pas,

Où simplement contre une équipe plus faible.

« Dura lex, sed lex »

La loi est dure, mais c’est la loi.

Prochain résumé contre une équipe de D6

F&H

Bastard